August 2020  — Le projet mediatique August2020 (august2020.info) a pour objectif de recueillir et de publier des temoignages de torture, de passage a tabac et d'abus commis par la police lors de la repression des manifestations pacifiques postelectorales au Belarus en 2020.

Tortures et violences en 2020 : l’histoire de Aksana D.

22 ans, free-lance. « On m’a dit que l’agent de l’assistance sociale allait venir me voir. À ces mots, ma vue s’est brouillée »

Dans la ville de Stolin, il n’y avait qu’une seule personne pour douze mille habitants qui a fait campagne et collecté des signatures pour Svetlana Tikhanovskaïa. Elle s’appelle Aksana Dabryanets. Le jour du scrutin, elle était observatrice dans l’un des bureaux de vote. Depuis l’été pré-électoral, Aksana a donné beaucoup de commentaires dans les médias. La militante a été méthodiquement poussée à quitter le pays par l’arrestation, les interrogatoires, les procès-verbaux, les perquisitions et les menaces d’enlever la garde de son enfant. Depuis quatre mois maintenant, Oksana vit en Ukraine sans déplier les bagages. Elle a peur de se dire que son enfant risque d’aller à l’école ailleurs qu’à Stolin.

Le chemin qui l’a menée au mois d’août

— J’ai eu un bébé quand j’avais 15 ans et j’ai eu une vie difficile toute seule depuis. J’ai senti sur ma propre peau que cela ne devrait pas être comme ça. Au cours des deux années qui ont précédé les élections, j’étais bien installée : j’étais manucure et je gagnais bien ma vie à l’échelle de Stolin. J’ai écrit des lettres aux prisonniers politiques, qui étaient six à l’époque, et je leur ai envoyé de l’argent. Mais personne chez nous ne parlait politique. Ensuite, il y a eu le coronavirus. J’habitais en face de l’hôpital et j’ai vu combien d’ambulances par jour emmenaient des gens dans le service « fermé ». Et j’étais très ennuyée et gênée que les gens ne connaissent pas la vérité, que les gens soient abandonnés. J’ai toujours eu un sens de la justice hors norme. Tout cela s’est entassé pour aboutir soudainement à la collecte de signatures. C’est mes premières élections, je voulais vraiment que mon vote ait un sens.

Au début, je voulais aller à Pinsk, mais ensuite j’ai pensé : il y aurait beaucoup de personnes à Stolin qui voudraient aussi signer. J’ai contacté les militants de Pinsk : « Si tu trouves au moins 150 personnes, nous viendrons pour une journée ». J’ai tout de suite créé un salon de discussion qui a rassemblé 150 personnes en quelques heures. Puis j’ai trouvé un endroit. Le premier jour, 333 ou 335 signatures ont été recueillies. On n’a pas vu de manifestations pareilles à Stolin depuis les années 90. Il n’y avait pas de publicité faute de médias indépendants dans la ville. Même depuis le balcon, les gens l’ont vu et couru pour signer. Après la première collecte, je n’ai pas dormi pendant deux jours à cause des émotions. J’étais sûre que les élections seraient falsifiées, mais le Bélarus entier s’est levé et je n’avais aucun doute sur le fait que nous allions gagner. J’étais si confiante et courageuse.

Je suis devenue observatrice dans le bureau de vote qui se trouvait dans l’école où j’ai étudié. Je ne suis pas allée au vote anticipé exprès parce qu’il est inderdit de faire campagne à ce moment-là. J’ai collé des prospectus et des rubans blancs. Si je renctontrais quelqu’un devant l’entrée d’un immeuble, je lui demandais s’il allait voter. Et les retraitées répondaient : « Bien sûr, et surtout dans l’après-midi ». Il y a même eu un moment où la femme d’un policier, pendant que je collais le prospectus, m’a dit : « Mettez en plus, pour qu’ils puissent tous le voir, pour qu’ils sachent pour qui voter ». Le plus drôle, c’est que son mari était impliqué dans mon arrestation et m’a menacé.

« Le premier jour, 333 ou 335 signatures ont été recueillies. Il n’y avait pas de publicité, mais même depuis le balcon, les gens ont vu et couru pour signer »

– Avant, les élections se passaient comme ça dans notre école : il y avait quelques personnes et c’était tout. Et là, les gens arrivaient sans cesse. Portant les bracelets blancs. Certains faisaient des clins d’œil, d’autres pliaient leur bulletin en accordéon ou me touchaient l’épaule en murmurant à l’oreille « Vive le Bélarus ». À l’heure du déjeuner, je suis allée aux toilettes et quand je suis revenue les observateurs pro-gouvernementaux avaient déjà pris ma place. J’ai commencé à compter devant le bureau : le policier s’est mis à me mettre dehors. Je me suis ensuite tenue devant l’entrée de l’école, puis je me suis assise sur un banc dans la cour. Alors il a voulu que je quitte le site de l’école. Je ne suis pas parti, les gens se sont rassemblés autour de moi.

Naturellement, il n’a pas été possible d’accéder au décompte des voix. Un policier est venu nous voir deux fois, nous prévenant qu’il allait appeler des renforts. Nous n’y avons pas réagi. Nous étions quatre ou cinq. Les gens quittaient déjà les bureaux de vote voisins, et le nôtre était encore très loin de fermer. Nous les avons vus soulever les rideaux pour voir si nous étions là. Quand le policier est parti, nous sommes entrés à l’école. Tous les membres de la commission sont sortis en courant vers nous et se sont alignés devant le bureau : « Seuls les observateurs ont le droit de regarder ». Nous y sommes allés tous les deux. Loukachenka a obtenu quelque 1 000 voix, Tikhanovskaïa, 300 voix. Nous étions déçus et stupéfiés.

C’était mes professeurs, qui m’ont enseigné. Un prof d’histoire qui critiquaient les autorités, nous avons beaucoup parlé du Maidan en Ukraine. « Iouri Mikhailovitch, n’avez-vous pas du tout honte ? » Ils ont baissé la tête et ont passé en silence. Il était environ minuit. Nous avons décidé d’aller en ville : les gens étaient peut-être sortis. Le silence régnait partout.

Arrestation. Ils ont menacé de me violer«Tu vas craquer maintenant de toute façon »

— J’ai été arrêtée le 11 août. Nous n’avons pas eu de protestations à cette époque, point du tout. Ce jour-là, j’ai fait le tour de la ville pour recueillir les signatures des personnes qui avaient voté dans mon bureau de vote pour Tikhanovskaïa afin de prouver la fraude. Mais les gens ont eu peur. J’ai compris que maintenant, quelqu’un allait simplement me dénoncer à la police. Une voiture de police s’est alors arrêtée et on m’a dit de monter. Peut-être, ils m’ont vu par hasard : je me tenais là, en T-shirt « Stolin for Life ». Je leur ai demandé à se présenter et deux hommes sont sortis en courant, m’ont tordue les bras, m’ont jetée dans la voiture et m’ont emmenée au commissariat de police.

J’ai dit que j’avais un petit enfant. Ils se sont mis à crier que je ne devais pas traîner… . Il faut 10 à 15 minutes pour se rendre au commissariat de police, et pendant tout ce temps, ils me criaient dessus : « À cause des gens comme toi, nos frères ont été battus à Pinsk. Tu iras maintenant en prison » et des choses pareilles. Ils m’ont arraché le téléphone.

Au commissariat de police, on ne savait pas comment expliquer pourquoi on m’avait emmené. Il y avait cinq ou sept policiers dans le bureau : « Eh bien, avoue-le ». Mais il n’était pas clair qu’est-ce que je devais avouer. Ils ont commencé à m’interroger : si je suis allée à Pinsk. Parce qu’à Pinsk, il y a eu des manifestations. J’ai évoqué mes droits constitutionnels (article 27, le droit de ne pas témoigner contre moi-même et mes proches parents – août2020), mais ils ont commencé à crier et à m’insulter. Ils ont menacé de me violer si je ne dirais rien. De me mettre en prison pour 24 heures ou enlever la garde de mon enfant. Ils ont dit : « Tu vas craquer maintenant de toute façon ». Ils se sont moqués de mes demandes d’avocat.

Ils m’ont instamment pressé pendant un certain temps, alors je me suis sentie malade et j’ai commencé à glisser sur la chaise. Ils ont rigolé : « Quoi, tu veux une ambulance, peut-être ? » Et je me rendais compte qu’ils le disaient pour rigoler. J’ai demandé à boire et on m’a apporté de l’eau. Mais je doutais de ce qu’il y avait là-dedans. On m’a conduit à la fontaine. J’avais une peur bleue. J’avais déjà vu ce qui se passait à Minsk parce que j’avais l’Internet. J’ai essayé de garder mon calme au commissariat pour ne pas me faire battre ou violer.

« Les salopes comme toi ne devraient pas être battues, elles devraient être abattues». – « Lesquelles ? » – « Celles qui vont à Pinsk pour protester »

– Parfois quelqu’un entrait dans le bureau pour rigoler : « Oh, cette conasse est toujours là » et il sortait après. À un moment donné, un autre policier, mais en noir, est entré, s’est assis en face de moi et a commencé à serrer les poings, à se jeter sur moi en criant : « Les salopes comme toi ne devraient pas seulement être battues, elles devraient être abattues ». – « Lesquelles ? » – « Celles qui vont à Pinsk pour protester ». (À Pinsk, je n’avais participé qu’à une manifestation avant les élections.) J’avais l’impression qu’il était sur le point de me frapper, car il a commencé à faire des clins d’œil aux autres policiers, et ils ont commencé à quitter le bureau. Alors j’ai commencé à leur parler. Tout le monde me posait des questions sur Pinsk, pourquoi j’avais participé à la collecte des signatures, pourquoi j’étais contre Loukachenka.

Ils ont trouvé dans mon téléphone des échanges avec un ami où nous discutions pour savoir si quelqu’un à Stolin sortirait pour protester. Et j’ai écrit que tout le monde a peur à Stolin, et que j’irais plutôt à Pinsk. Ils ont commencé à crier : « Eh bien, tu vas en taule maintenant ». Ils ont supprimé des photos et des vidéos de mon téléphone. Une vidéo de Pinsk, où la police anti-émeute a été dispersée par les manifestants, a été automatiquement sauvegardée sur Telegram. D’abord, ils se plaignaient d’avoir été battus, d’être si pauvres et misérables, et en regardant cette vidéo ils disaient : « Oh, regardez, regardez, c’est moi qui a été visé par cette poubelle ! Et moi, par ce bâton ! » Et ils riaient.

En rédigeant le deuxième procès-verbal, pour avoir collé des tracts de campagne, le policier a dit : « Tu aurais dû avoir un mari policier qui te baise, tu ne ferais pas cette connerie ». Au même moment, il a enlevé son alliance devant moi, je ne sais pas pourquoi.

Une seule personne savait que j’étais arrêtée car je lui avais parlé au téléphone. Il a communiqué les infos aux connaissances, et finalement ma mère l’a su. Elle m’appelait mais ils rejetaient tous les appels. En même temps, maman a appelé au commissariat mais on lui a répondu que je n’étais pas là. J’ai réalisé pourquoi je n’avais pas été enfermée pour quelques jours. Des connaissances m’ont dit qu’il y avait beaucoup de personnes avec des sacs à l’extérieur du poste de police lorsque j’étais à l’intérieur. Il s’agissait des parents des protestants de Pinsk. Il y a peu de cellules dans la maison d’arrêt, et elles étaient probablement toutes occupées.

J’ai signé les procès-verbaux parce que j’avais l’impression d’être là depuis toujours. Je ne savais pas si j’allais sortir. Je suis restée là-bas 7 heures et demi. J’ai été libérée vers quatre heures du matin. En vêtements d’été, en pleine nuit, sans savoir quelle heure il est. J’ai dit : «Vous me déposez là où vous m’avez arrêtée ». Finalement, après avoir crâné un certain temps, ils ont trouvé une voiture pour me ramener.

Le lendemain, il m’a fallu beaucoup de temps pour m’en remettre. Et un jour plus tard, je me suis rendue à la première manifestation. J’étais partie pour une manifestation individuelle et je me suis retrouvée avec plus de 30 personnes. Le deuxième jour, il y en avait 300, et pour la marche plus de 500. Lorsqu’il n’y a plus eu de manifestations à Stolin, certaines personnes sont allées à Minsk pour protester.

Le policier a crié : « La Constitution ne s’applique pas aux affaires administratives ». En présence de l’avocat

– J’ai engagé un avocat pour préparer des plaintes pour arrestation illégale. Naturellement, j’ai reçu des réponses bidon. En caractères gras, la réponse écrivait : « En cas d’appels répétés avec des informations qui ne correspondent pas à la réalité, vos actions seront évaluées conformément à l’article 9.2 « Diffamation » du Code administratif de la République du Bélarus ». Pendant les procès, les officiers de police ont dit que je suis venu au commissariat de mon propre chef.

L’affaire de l’incitation a été classée pour absence de corpus delicti. La deuxième affaire (en vertu de l’article 23.34 partie 2 du Code administratif de la République du Bélarus) a été renvoyée par le tribunal pour révision, car ils ne pouvaient pas me juger sur la base d’un seul message téléphonique. Un autre truc : je ne voulais pas signer le procès-verbal le 11 août, mais j’ai vu qu’il était écrit « procès-verbal d’interrogatoire » tout court. Celui-ci est déstiné aux témoins. J’ai pensé que je pourrais facilement clore l’affaire plus tard avec un avocat. Mais ils ont ajouté « le procès-verbal d’interrogatoire de la personne contre laquelle une procédure administrative est engagée » avec un stylo. Et cela a marché.

Il me fallait attendre 15 ou 8 jours, et si je n’avais pas été appelé pour réécrire le rapport, l’affaire aurait été classée : le délai aurait été dépassé. Or ils devaient m’attraper. J’étais souvent traqué par la police près de ma maison. Un jour, ils ont frappé à ma porte. Je n’ai pas ouvert. Mais ils ont dû me voir et ont commencé à défoncer la porte. Ma porte est vieille, il suffit un coup pour la casser. J’ai patienté et après je me suis rendue au commissariat de police avec mon avocat.

Il me fallait attendre 15 ou 8 jours, et si je n’avais pas été appelé pour réécrire le rapport, l’affaire aurait été classée : le délai aurait été dépassé. Or ils devaient m’attraper. J’étais souvent traqué par la police près de ma maison. Un jour, ils ont frappé à ma porte. Je n’ai pas ouvert. Mais ils ont dû me voir et ont commencé à défoncer la porte. Ma porte est vieille, il suffit un coup pour la casser. J’ai patienté et après je me suis rendue au commissariat de police avec mon avocat.

Le procès a eu lieu un jour plus tôt parce qu’ils ont confondu les dates et je n’en ai pas été informée. Verdict : amende de 25 unités de base (près de 300 euros – ndt). L’examen du téléphone a autorisé sa destruction totale ou partielle. Et quand il est revenu, il ne fonctionnait plus.

Perquisition et départ. « Vous vivez en attendant qu’on va vous « pacifier », « calmer », « fermer la gueule »

— J’écris pour le média régional Première région depuis septembre. Nous n’avons pas de médias indépendants dans la ville, mais beaucoup d’informations. Je suis déjà connue dans la ville et on m’envoie directement les informations. Je peux aider quelqu’un, parler à un avocat, donner des consultations sur des questions juridiques. Je suis heureuse que les gens sachent qu’ils peuvent me contacter. Puis, après l’arrestation, j’ai fait un post sur Facebook et une femme m’a proposé de m’aider à trouver un avocat. J’ai aussi transmis des paquets de provision aux personnes arrêtées en tant que bénévole. Toute seule, je n’ai pas eu beaucoup d’aide. J’ai évidemment participé aux manifestations. J’ai assisté aux procès. J’ai provoqué une attention particulière.

Et puis j’ai été convoqué au comité d’enquête. Pour la première fois. Sur convocation. Quelqu’un dans notre ville a écrit des insultes adressés à la police sur un bâtiment. Je ne sais même pas où se trouve ce bâtiment. Mais pour une raison quelconque, j’étais un témoin dans cette affaire criminelle. Environ deux mois plus tard, un après-midi, en rentrant à la maison j’ai entendu des bruits dans le hall d’entrée. J’ai pensé que c’était probablement moi qu’on est venu chercher.

Pendant les deux premiers mois après l’arrestation, je n’ai pris que des taxis parce qu’ils m’avaient dit : «Nous t’arrêterons toujours dès que nous te voyons porter des T-shirts « incorrects » ou quoi que ce soit d’autre ». J’avais peur des voitures. Mais ensuite vous vivez tout simplement en attendant qu’on va vous « pacifier », « calmer », « fermer la gueule ». J’étais trop active pour Stolin dont ils voulaient avoir l’image d’une ville où tout est calme et paisible et que personne ne proteste. J’ai été tellement fatiguée de vivre dans cette attente que les voyant venir, je connaissais déjà mon avenir.

« Je comprenais qu’ils allaient m’emmener, mais je devais les faire souffrir un peu »

Il y avait des témoins et quatre ou cinq policiers qui m’ont montré l’autorisation du procureur. J’ai demandé un avocat, on me l’a refusé, les enregistrements vidéo ont été refusés, de même que les témoins indépendants. Ils ont dit que comme il s’agissait de graffitis, ils cherchaient des bombes de peinture. Ils sont venus faire la perquisition chez moi en tant que témoin. Mais seulement chez moi, de toute la ville.

Pendant 45 minutes, la perquisition s’est s’est déroulée tout à fait correctement. Ils ont soigneusement passé en revue toutes mes affaires, ayant quand même confisqué mon T-shirt « Stolin for Life », une affiche, des copies d’articles des médias qui parlaient de moi, un bracelet blanc-rouge-blanc et un vieil appareil photo argentique. Dès qu’ils ont éteint la caméra : « Donne-nous le téléphone ». – « Vous faites la fouille des lieux, alors cherchez le téléphone ». Le téléphone était dans ma poche. « Non, tu es obligée de nous le donner ». J’ai commencé à me disputer avec eux, leur citer des articles du Code de procédure et d’exécution des affaires administratives. Ils se sont mis à me crier dessus : « Rends-nous gentiment le téléphone, parce que nous allons te prendre de force et t’emmener. Tu veux bien ça ? Nous enregistrerons aussi la résistance ». Les témoins étant déjà partis, il ne restait que trois policiers.

Pendant trois heures, j’étais sous pression. Ils ont appelé la protection de la jeunesse pour que l’on vienne chercher mon enfant à l’école parce que je suis arrêtée. Ils ont essayé de me faire sortir de l’appartement. Ils m’ont crié dessus pour avoir fait des commentaires dans les médias : « Si tu ne te tais pas, on va te mettre en prison ». Ils ont appelé leur chef et j’ai entendu des phrases telles que : « Elle ne veut pas le rendre, que dois-je faire ? Nous ne pouvons pas le prendre comme ça…» J’avais l’impression de faire quelque chose correctement.

Je comprenais qu’ils allaient m’emmener, mais je devais les faire souffrir un peu. Je n’ai même pas tiqué. Lorsqu’ils ont dit qu’ils m’emmenaient au commissariat de police, j’ai emballé mes affaires, je me suis assise et j’ai attendu de voir ce qui allait se passer ensuite.

Puis une femme policière est arrivée avec les mêmes témoins. Ils ne m’ont pas demandé s’ils pouvaient entrer dans l’appartement, ils ont fait comme chez eux. Je n’ai fait que fermer toutes les pièces et leur dire de rester dans le couloir. À la fin, la femme m’a simplement adossée au mur et a pris le téléphone dans ma poche. Ayant dit « la perquisition est terminée », elle a commencé à remplir les papiers. Et ils sont partis. Donc la perquisition a duré cinq heures.

À cause des arrestations, des fouilles, de la façon dont les policiers, ces « hommes », se sont comportés, j’éprouve quelque chose entre la peur et le dégoût envers les hommes.

« Ma fille a été victime d’intimidation à l’école à cause de moi. Quand elle est stressée, elle saigne du nez. Alors qu’elle se déshabille après l’école, il y a une mare de sang sur le plancher »

– J’ai compris que je ne serais plus tranquille. J’ai envisagé le déménagement. Un jour plus tard, j’ai reçu un appel téléphonique me disant que l’assistance sociale venait me voir. À ces mots, ma vue s’est brouillée. Il m’a fallu littéralement 15 minutes pour faire mes bagages. Oui, s’il n’y avait pas eu cet appel, je serais resté au Bélarus.

J’ai appelé ma mère : « S’il te plaît, prends les enfants et sors pour quelques minutes ». Je suis arrivée et je leur ai dis que je partais pour l’Ukraine. Naturellement, je ne voulais pas partir. C’est comme si je trahissais quelque chose. Je tremblais. Maman a commencé à pleurer et les enfants aussi. Nous sommes restés comme ça pendant cinq minutes, nous avons dit au revoir, et ma fille et moi sommes parties. Je suis très heureuse d’avoir ce soutien chaleureux de la part des parents. Pour être honnête, en vivant au Bélarus, je ne pensais pas avoir un grand besoin d’être à côté de ma mère, et lorsque j’ai émigré, j’ai eu un grand besoin d’avoir les parents près de moi.

Je suis partie en week-end et le lundi, j’ai appris que les poursuites ont été engagées contre moi pour avoir désobéi à la police. Je comprends qu’ils voulaient me mettre en prison et que je n’y sortirais pas si tôt. Je suis à Kiev depuis février. À Stolin, la direction des affaires économiques convoque mes connaissances pour les interroger à mon sujet. C’est-à-dire, dans le cadre des enquêtes financières. Je ne comprends pas pourquoi, bien que lors de la perquisition, on m’ait demandé si quelqu’un me payait ou si je savais qui finançait les protestations.

À cause de la crise de nerfs, j’ai eu un dérèglement hormonal et des vertiges. J’ai suivi un traitement psychologique car j’avais des attaques de panique. En ce moment, je prends des somnifères, et avant, je dormais deux ou trois heures par nuit. Je faisais des cauchemars et je ne me couchais plus car j’avais peur. L’émigration n’a fait qu’empirer les choses. De plus, au moment de notre départ avec ma fille, nous avons eu un accident non loin de Minsk. Il y avait une forte tempête de neige et nous avons d’abord été projetés dans un fossé et lorsque nous en sommes sortis, nous avons été percutés par une voiture. Nous avons été traumatisés. Ici, en Ukraine, je me sens en sécurité, mais lorsque j’apprends que mes amis et connaissances sont appelés à la police à mon sujet, je commence à m’inquiéter pour mes proches, en me rappelant ces épisodes d’injustice, et alors je me sens très mal. Il y a des périodes où je peux rester au fond du lit pendant deux jours, oubliant même de manger.

Ma fille a été victime d’intimidation à l’école à cause de moi. Sa prof était « yabatka » (pro-Loukachenka – ndt). Elle a vu les photos dans son téléphone (ma fille est allée à tous les meetings avec moi) et elle l’a réprimandée devant toute la classe. « Tous ceux qui protestent sur la place sont des toxicomanes ou des alcooliques. Et ta mère… Elle est payée par la Pologne ». Elle lui a tapé sur les mains avec une règle, l’a harcelée durement, a dit qu’elle allait la faire redoubler. Quand ma fille est stressée, elle saigne du nez. Alors qu’elle se déshabillait après l’école, il y avait une mare de sang sur le plancher. Elle a eu une très vilaine maladie. Je suis allée voir la principale. Notre principale est la seule prof de Stolin qui n’a pas participé aux falisfications. J’ai envoyé l’enfant moins souvent à l’école, et en plus il y avait le coronavirus.

Ma fille était au courant de mon arrestation. Comme je vivais dans l’attente d’une arrestation, je l’ai préparée à la situation où, à un moment donné, elle serait récupérée à l’école par des inconnus en uniforme, mais son papa ou sa grand-mère viendrait et tout irait bien. Tout le monde lui manque et elle pleure souvent.

« Maintenant il faut s’occuper du développement personnel pour être utile dans le nouveau Bélarus »

– J’ai reçu beaucoup de soutien de la part des immigrés biélarussiens du monde entier. Mais je voulais être soutenue par ma ville. Et j’ai développé une rancune. En septembre, je n’ai plus eu de clientes pour des manucures. J’ai été citée par les médias et ils ont dû avoir peur. Il n’ya que les plus fidèles qui sont restées. Il y a des gens à Stolin qui m’ont soutenu. Ce sont mes clientes et quelques personnes que je ne connaissais même pas. Et je leur en suis très reconnaissant. Mais il y avait aussi l’intimidation. Les gens ont commencé à écrire : tu es partie et tu n’as pas le droit de dire quoi que ce soit à propos du Bélarus. De nombreuses rumeurs ont circulé selon lesquelles je suis allée sur la place juste pour l’argent.

Il est fâcheux que tout se soit calmé dans la ville. Les gens, ont-ils peur ou ne comprennet-ils pas leur importance ?… La liberté, il faut aller la chercher. Dans ma ville, il y a toujours eu cette idée « que ça ne me touche pas ». Chez nous, on a commencé à serrer la vis aux entrepreneurs qui ont protesté sur la place publique. Et pour une certaine raison, les gens ne se sont pas montrés solidaires avec eux. Il y avait deux commerces privés et on a construit un Hit (chaîne de magasins à petits prix – ndt) entre eux. Les gens ont commencé à acheter chez Hit. Alors que j’ai lancé l’appel : soutenons nos entrepreneurs, ils ont collecté de l’argent pour aider à payer les amendes. En principe, je peux les comprendre en quelque sorte, mais je n’accepte pas cette position.

Nous comprenons tous ici que nous ne rentrerons pas chez nous de sitôt, et nous essayons de l’assumer. Moi qui vis en Ukraine depuis environ six mois, j’ai deux assiettes, deux tasses et deux cuillères à la maison. Je ne peux pas m’acheter de la vaisselle : c’est une sorte de résistance. Beaucoup de ceux qui sont ici sont dans la même situation. Je me rends compte que j’ai une grand-mère qui a plus de 60 ans, et que si quelque chose lui arrive, je ne pourrai pas venir. J’ai des petits frères, l’aîné a 13 ans et ils pleurent en disant que je leur manque. Récemment, un policier a appelé mon frère au numéro que j’avais laissé et lui a demandé où j’étais. Mon frère est en troisième. Il a dit : « Aksana est en Ukraine, elle n’est pas là, ne m’appellez pas ». Puis il a pleuré et demandé pardon : « Tu es sûre que je ne t’ai fait aucun mal ? » Je l’ai longtemps rassuré en lui disant qu’il avait bien fait.

Quand on lit les nouvelles, on ne se rend pas compte de tout ce que nous devrons encore traverser pour arriver au bout. Naturellement, tout cela est douloureux et traumatisant, mais je comprends que, de toute façon, ce que nous attendions, un changement de pouvoir, se produira. Je peux dire que je suis forte et courageuse et que je vais réussir. J’ai acquis une plus grande confiance en moi. J’ai compris que mon choix de partir et de rester libre était le bon. Maintenant il faut s’occuper du développement personnel pour être utile dans le nouveau Bélarus.

P.S. Aksana a fait appel de la décision du juge et a déposé plusieurs plaintes contre la police. Mais cela n’a donné aucun résultat. La jeune femme soupçonne que les poursuites pénales ont été engagées contre elle au Bélarus.

Auteur : équipe du projet August2020

Photo : équipe du projet August2020

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