August 2020  — Le projet mediatique August2020 (august2020.info) a pour objectif de recueillir et de publier des temoignages de torture, de passage a tabac et d'abus commis par la police lors de la repression des manifestations pacifiques postelectorales au Belarus en 2020.

Tortures et violences en 2020 : l’histoire de Viatchka K.

33 ans, musicien. « Ils t’ordonnent de courir, mais tu ne sais pas où, alors ils rient et te frappent à tour de rôle »

Viatchka en est sûr : comme la plupart des personnes qui ont voté en août 2020, il a été dupe des autorités. Elles ont ensuite mis en place une machine de répression pour continuer, aujourd’hui encore, de détruire des vies. Viatchka lui-même a été brutalement arrêté en août. On lui a coupé les cheveux dans un fourgon de police, il a été battu au point de ne plus pouvoir retenir l’urine et a été détenu, uniquement vêtu d’un caleçon, au centre de détention de délinquants rue Akrestsina. Après ces tortures, il a quitté le pays. Par la suite, il a déposé plainte en Lituanie dans le cadre de la compétence universelle qui permet d’enquêter sur les tortures infligées à des manifestants bélarussiens. Le jeune homme affirme qu’il luttera contre l’injustice pour le reste de sa vie. « Et j’ai l’intention de vivre une longtemps », sourit Viatchka.

« Je ne sais plus s’il avait une canne, mais il était claire qu’il était éclopé. Au moment où il essayait d’escalader le parapet on lui a lancé une grenade dessus. »

– Avant d’être arrêté près du centre commercial Riga, j’ai été près du métro Pouchkinskaïa. Pour éviter le « feu d’artifice » (attaque aux grenades assourdissantes – ndt), je me suis réfugié dans l’entrée d’un immeuble. J’avais l’impression que la guerre venait d’éclater. Ensuite, j’ai décidé de faire du stop pour regagner un magasin qui fait des nocturnes non loin du centre commercial Riga. Arrivé là, j’ai vu que de nouvelles barricades avaient été érigées et que la police était en train de faire le « nettoyage ». Tout le monde a fui et je suis resté sur place. Ça m’a un peu choqué : les flics antiémeute en plein équipement ont accouru de tous les côtés ! Pourquoi n’ai-je pas réagi vite ? C’est que j’ai remarqué un homme : confus d’abord, il s’est mis à se sauver après. Je ne sais plus s’il avait une canne, mais il était claire qu’il était éclopé. Au moment où il essayait d’escalader le parapet on lui a lancé une grenade dessus. Je suis donc resté bouche bée : le type n’est pas armé, il a du mal à se déplacer, et il y a ça ! C’était un agent de sécurité qui a lancé cette greande depuis un véhicule spécial pourvu d’une « tourelle ». Plus tard, un deuxième agent a tiré sur l’homme avec quelque chose qui ressemblait à un fusil de chasse. Et il l’a touché au ventre.

Ça m’a rendu encore plus perplexe et je me suis dit : et moi, que dois-je faire ? Un type en blouse blanche s’est approché de l’homme blessé en courant. Une autre grenade leur a été balancée dessus. Je me tenais à environ 20 mètres d’eux. Heureusement que j’avais mis mes écouteurs plus tôt. Je décide d’aller les aider, mais quatre flics antiémeute en plein équipement nous sautent dessus depuis le coin de la rue. Ils m’ont frappé avec leurs matraques et m’ont traîné ensuite quelque part.  Pendant un instant, ils se sont demandé s’ils allaient me jeter par-dessus le parapet où l’autre homme avait été arrêté. Un autre policier est survenu en disant qu’ils devaient nous faire descendre. Merci à lui, car tomber d’une hauteur d’un mètre n’est pas drôle.

« Le type en noir m’a donné plusieurs coups de poing, puis m’a soulevé par les cheveux et les a coupés en trois temps avec un couteau militaire. »

J’étais le premier dans le fourgon de police. Le type en noir m’a donné plusieurs coups de poing, puis m’a soulevé par les cheveux et les a coupés en trois temps avec un couteau militaire. Dans le fourgon, ils m’ont serré les mains avec un collier en plastique, m’ont jeté face au sol et ont commencé à me donner des coups de pied au dos et à la tête. C’était pas drôle, mais j’étais encore perturbé et je n’ai pas vraiment ressenti la douleur. La deuxième personne à arriver dans le fourgon était l’homme en blouse blanche, qui avait aidé ce monsieur éclopé. Il a été traité avec un certain respect. Interrogé sur ce qu’il faisait là, le type a répondu qu’il ne pouvait pas observer tranquillement ce qui se passait et qu’il a décidé d’aller aider les gens. « Bien joué, mais tu as choisi le mauvais côté », a suivi leur commentaire. Ils l’ont mis sur un banc et ne l’ont même pas frappé fort. Puis, de retour à moi : « Eh, te voilà, chevelu ! » Ils ont dit qu’il fallait me violer avec une matraque. Allongé par terre, j’ai pensé : « Eh bien, c’est du jamais vu, il est temps d’essayer quelque chose de nouveau ». Les policiers antiémeute ont pris mon sac à dos où il y avait des préservatifs : « Oh, regardez, il est bien équipé, lui ! »

Puis, de retour à moi : « Eh, te voilà, chevelu ! » Ils ont dit qu’il fallait me violer avec une matraque. Allongé par terre, j’ai pensé : « Eh bien, c’est du jamais vu, il est temps d’essayer quelque chose de nouveau »

Une nouvelle arrestation m’a sauvé. Ce type semblait être originaire du Tadjikistan. Ils ont immédiatement commencé à se moquer de lui, en disant : « Quoi, t’as enfilé bien tes kebabs ? » Et des kilotonnes d’injures ! Il criait si fort quand ils le passaient à tabac ! Le type avait environ 19 ou 20 ans, il parlait très mal le russe. J’ai appris plus tard qu’il était étudiant à l’Université technique et qu’il était sorti de sa résidence avec un ami pour voir ce qui se passait. Eh bien, il a tout vu.

Le fourgon se remplissait peu à peu, les gens commençaient à s’entasser sur moi et grâce à cela, je subissais beaucoup moins de coups. Mais lorsque 200 kilos pèsent sur vous, vos poignets pris par un collier de serrage commencent à vous faire mal, vous êtes allongé « face contre terre » et vous ne pouvez pas respirer correctement, il ne vous reste rien de mieux à faire que de mugir pour faire comprendre à votre voisin du dessus qu’il est temps de changer de position. Et ces connards criaient : « Eh bien, où est votre présidente, Sveta ? Où est l’argent que vous avez reçu pour aller protester ? » J’avais un peu d’espèces dans mon sac à dos, dès qu’ils l’ont vu, ils ont commencé à rigoler : « Regardez, le petit combattant a été payé ! »

La fouille ne s’est pas arrêtée là. « Qui est le membre de l’Union des musiciens bélarussiens ? » Si vous ne répondiez pas, tout le monde se faisait tabasser. J’ai répondu et ils ont ri.

« C’est toi-même qui es un rat disséqué maintenant »

Après le fourgon, nous avons été transférés dans un minibus rouge, où je me suis retrouvé au sommet. J’ai reçu tant de coups de pied dans le ventre que je me suis pissé dessus. Et au même moment, mon pantalon a été déchiré. Ils n’ont trouvé rien de mieux à faire que de rire que je n’étais pas arrivé à temps aux toilettes.

Puis il y a eu un autre fourgon, où les gens se sont à nouveau empilés sur moi. Ma tête reposait contre le pied d’un policier antiémeute. Pas fameux comme oreiller. Il pouvait définitivement me sentir appuyé contre lui, mais il n’a pas bougé. Là, ils ont vérifié le portable et ont trouvé des photos de la scène des violences. « Fais attention à ne pas casser le téléphone », ont-ils dit en le mettant dans ma poche pour qu’il ne soit pas endommagé même si je reçois des coups dans les reins.

J’espérais vraiment que la route ne serait pas longue, mais le trajet m’a semblé durer 40 minutes. On pouvait entendre les portes en fer s’ouvrir. Ma première pensée était : on est à Jodzina. Ils nous ont débarqués, nous ont fait passer par un « couloir » (des policiers disposés en deux rangées qui frappent chaque détenu qui passe ndlt) en gueulant « Courez !  Face contre terre ! Ne regardez pas ! » Dans le fourgon, il faisait sombre et, en sortant, on ne voyait rien, en plus, des coups venaient par derrière. Je suis tombé sur un cercle de flics âgés environ entre 35 à 50 ans. C’est là que j’ai eu une déchirure sous l’œil ; la cicatrice restera à jamais.

On pouvait bien voir qu’ils s’amusaient. Ils t’ordonnent de courir, mais tu ne sais pas où, alors ils rient, alors ils rient et te frappent à tour de rôle. « Contre le mur ! Lequel ? Contre celui-là, merde ! Tu es si stupide que ça ? »

Une fois contre le mur, les hommes de derrière nous ont « rappelé » comment on se tient : à genoux, la tête contre la barrière. Si quelqu’un bombait un peu trop le derrière, on le frappait. Quelques heures plus tard, nous avons été autorisés à nous allonger sur le sol, et c’est à ce moment-là que le personnel de la télé d’Etat est arrivé (je ne l’ai appris qu’après coup). Ils recherchaient ceux qui avaient des tatouages. Et moi, j’ai un tatouage de l’ouroboros sur le bras. Alors je me suis mis à l’expliquer sans voir la personne qui me parlait. Ce serait drôle si c’était Azaronak (propagandiste et animateur de télévision d’Etat – ndlr). Et j’ai entendu une voix qui me répondait : « Je sais ce que c’est qu’un ouroboros, pas la peine de me l’expliquer ». J’ai pensé alors : « Oh, un interlocuteur intelligent [rire] ».

Sur l’autre bras, j’ai un tatouage d’un rat disséqué. « C’est toi-même qui es un rat disséqué maintenant », ai-je entendu. Je n’ai pas plaisanté en réponse pas car je savais qu’on me tabasserait si je répondais. Tête baissée, j’ai gardé le silence, et à côté de moi il y avait un homme dont la moitié du corps était couvertes de croix gammées tatouées. Il n’est pas surprenant qu’il ait été fait le clou de l’emission télévisée. D’ailleurs, ce type avec les croix gammées, il a aussi été tabassé très fort. « Putain, nos grands-pères ont fait la guerre ! Nous allons te montrer maintenant…» C’est en disant cela qu’ils le frappaient.

Puis ils ont également interviewé Viktar Kniha, nous étions dans la même cellule. C’est dommage qu’un homme qui venait de sortir de prison et de trouver un emploi ait été fait passer pour un terroriste et un organisateur de manifestations. A mon autre côté était allongé un blogueur russe. Il a aussi été sévèrement battu. « Ah, t’es un espion ! T’es venu pour soutenir notre opposition, putain ? On va te transformer en pâté, putain ! »

 « Quelqu’un a commencé à gémir, à demander d’appeler une ambulance et des médecins. »

Après un moment, nous avons été remis contre le mur. Le jour s’est levé, les flics antiémeute étaient partis quelque part. Le personnel de l’endroit où on nous détenait (et je ne savais pas où nous étions) nous a ordonné de nous mettre par terre. « Mais si on vous dit que ces types reviennent, vous vous levez tout de suite ». Quelqu’un a commencé à gémir, à demander d’appeler une ambulance et des médecins. Les flics antiémeute sont revenus pour distribuer quelques coups et sont repartis après en riant. Les colliers serrant très fort, beaucoup de gens se plaignaient. Un policier a dit que, si ça faisait vraiment très mal, il ne pouvait les desserrer qu’une fois toutes les 30 minutes chez une personne.

Vers huit heures du matin, deux femmes en blouse blanche sont venues voir les « patients ». Elles ont rincé les blessures au peroxyde à certains, ont iodé les blessures à d’autres. A moi elles ont dit : « Eh bien, ça va», et m’ont rincé le visage au peroxyde. Je leur ai demandé si je pouvais récupérer mes cheveux. « On ne peut que les tailler correctement ». Je voulais encore un analgésique contre le mal de tête. « Tu l’auras plus tard ». Zéro compassion ou peut-être qu’elles ont fait semblant. Peut-être ont-elles réagi ainsi parce qu’elles avaient vu des gens battus à mort, et moi, je n’avais que la tête fracassée.

« Je vais les corriger tous ici, putain ! » Il s’est avéré que ce Jénetchka n’était autre que le chef du centre de détention de délinquants Akrestsina.

Ils ont commencé à nous emmener un par un chez l’enquêteur. Et quand votre tête a eu trop de coups, vous ne réagissez forcément pas bien vite. « T’es vraiment stupide, putain ? Réagis plus vite ! J’ai dit : par là ! » Et vous ne savez pas où aller, car vous entendez : « Tout droit ! Regardez pas autour de vous  ! Gardez vos putains d’yeux baissés ! Baisse tes yeux, bordel ! T’es stupide ou quoi ? » Alors vous vous rendez compte que vous ne comprenez rien, et les indications de ce « psychologue » ne facilitent pas les choses. Nos sacs à dos et nos portables ont été mis séparément dans deux sacs à gravats blancs marqués « Riga » avec un feutre rouge. Après, ils ont ajouté que nous étions tous foutus parce que nous avions été embarqués dans un mauvais endroit, et que nous risquions d’avoir 25 ans de prison pour cela. Ça m’a « remonté le moral » à bloc.

Dans la cour de garage, nous avons été mis le long de la clôture en même position qu’avant. Un type est arrivé et a commencé à nous engueuler, s’approchant de chacun de nous et distribuant des coups. J’ai reçu des coups de matraque et de pied pour avoir prétendument lancé des « cocktails Molotov ». « Qu’est-ce que tu veux, binoclard ? », a-t-il apostrophé un jeune garçon à lunettes et s’est mis à le tabasser. « Hé, Jénia ! Qu’est-ce que tu fais ? Arrête ! » « Je vais les corriger tous ici, putain ! » Il s’est avéré que ce Jénetchka n’était autre que le chef du centre de détention de délinquants rue Akrestsina. Il interdisait de regarder autour de soi, mais j’ai jeté un coup d’œil en cachette et je l’ai identifié par la suite.

« Heureusement que je n’ai pas avoué que j’étais musicien. Parce que les gens se faisaient écraser les doigts s’ils demandaient de ne pas frapper sur les mains. »

Ce n’est que dans la cour de promenade que j’ai réussi à parler aux autres détenus. C’est là que j’ai découvert que nous étions dans le centre de détention rue Akrestsina. Un homme a déclaré qu’il avait été tabassé si violemment qu’il avait fait sa « grosse commission » sous lui. Il a fini par jeter son caleçon sale dans la bouche d’égout de la cour. Nous étions environ 30. Pour tout ce monde, nous n’avions qu’une seule bouteille d’eau de deux litres. Ensuite, ceux qui étaient emmenés aux toilettes remplissaient la même bouteille d’eau et la rapportaient.

Le soir, j’ai revu l’enquêteur. Il m’a dit de signer le procès-verbal. « Vous avez bien écrit comme je l’ai dit, n’est-ce pas ? Alors je vais vérifier. » Disons simplement que la conversation était une formalité, comme si c’était la routine. Il a essayé d’ignorer les « nuances », c’est-à-dire, mon apparence. Pour que je puisse signer le procès-verbal, ils ont enlevé le collier de serrage. Ouf ! Heureusement que je n’ai pas avoué que j’étais musicien quand ils l’ont mis. Parce que les gens se faisaient écraser les doigts s’ils demandaient de ne pas frapper sur les mains.

Dans la cour, le collier a été resserré plus fort. Après une heure, je n’en pouvais plus. Un policier a vu mes mains devenir bleues et a eu pitié. Il a coupé le collier et m’a ordonné de faire semblant que le collier était toujours là. Lorsque j’ai été autorisé à me lever, je me suis senti beaucoup mieux.

Cellule des « beach boys »

Nous avons été sortis de la cour « poliment » : nous avons reçu des coups partout sauf sur la tête. Tout le monde a été placé contre le mur et a reçu l’ordre d’enlever tous les vêtements sauf le caleçon. La cellule numéro 8 est donc devenue celle des « beach boys ». Mais comme nous étions heureux qu’il y ait un robinet d’eau. Pas de nourriture, pas de papier toilette non plus, mais des toilettes, et avec une porte.

Quand j’ai été emmené aux autres enquêteurs, j’ai eu à nouveau des procès-verbaux à signer, dans lesquels ils avaient écrit des conneries. J’ai réalisé que je ne pouvais pas refuser de signer, car il y avait là une vraie poufiasse en uniforme noire et deux flics antieméute se tenaient à côté d’elle. C’était flippant ! Selon ce procès-verbal, j’aurais crié : « Stop, cafard ! », « Liberté à Statkevitch ! » Pour info, je ne soutiens pas du tout Statkevich.

Les lumières de la cellule n’ont jamais été éteintes. Nous étions 40 dans une cellule pour six personnes. Pas de matelas, des couchettes nues. En fait, Azaronak a montré notre cellule dans son reportage. Cette table où il s’est assis, elle me servait de lit. Le plancher était vieux et en bois, mais peint. Le matin du 12 août, ils ont apporté du pain et de l’eau couleur de thé. C’était déjà une avancée. Il y a eu même un peu de nourriture pour le déjeuner. Je pense que c’était de la bouillie de millet sur l’eau. Je n’avais pas faim, j’avais à peine dormi la nuit à cause du stress. D’ailleurs, nous nous sommes à peine parlé dans la cellule. Il s’est avéré qu’il y avait un étudiant de mon université qui ne m’avait pas reconnu à cause de mon visage cassé et de mes cheveux collés à mes plaies. Le type qui avait été traîné hors de sa voiture près du métro Kamennaïa Horka, a bien remarqué que la prison a révélé la nature de chacun. Or toutes sortes de saletés se sont révélées.

« Il y avait plusieurs mineurs. Il avait reçu tellement de coups à la tête qu’il ne cessait de parler à un ami invisible… »

Il y avait plusieurs mineurs. Il avait reçu tellement de coups à la tête qu’il ne cessait de parler à un ami invisible en lui disant : « Donne-moi le couteau, je vais tuer tout le monde ici. » Je ne sais pas ce qu’il est devenu. Je suis triste pour lui.

Lors de mon rendez-vous suivant avec l’enquêteur, ils ont pris en vidéo tous mes tatouages et ont dit : « Tu dois être un anarchiste ». Et pour moi, l’anarchisme est une belle utopie à laquelle je ne crois pas. J’ai donc fait une petite blague à ce sujet. Lorsqu’ils ont appris mon profil d’éducation et mon lieu de travail, ils sont longtemps restés bouche bée.

Pendant ce chassé-croisé, un flic antiémeute a dit de faire attention car il y avait beaucoup de personnes séropositives dans la cellule. De retour dans la cellule j’ai dit : voilà, j’ai ces infos. Et le type aux croix gammées dit : oui, moi j’ai le VIH. Euh… J’avais été assis à côté de lui tout ce temps et nous avions bu de l’eau dans la même bouteille, alors qu’il était tout couvert de plaies. Ce serait trop injuste s’il me donnait un tel « cadeau ».

Le 12 août, ils ont commencé à vérifier les contacts des proches pour qu’ils apportent des vêtements aux « beach boys » avant le procès. Ils ont commencé à distribuer du papier toilette. Mais je n’ai jamais reçu les affaires que maman a apportées. Nous avons donc paru devant le juge au dernier étage du bâtiment, toujours en caleçon. Il n’y avait que trois personnes dans ce bureau exigu : le juge, le greffier et l’accusé. Le juge portait un masque, tout comme le greffier. Mais leurs yeux trahissaient tout. Sans vêtements, tout est visible. J’ai eu le sentiment que le juge était impressionné et se sentait désolé pour moi. Mais les engrenages du système ont fonctionné et j’ai eu 11 jours de prison. Certains ont immédiatement reçu un papier disant qu’ils étaient suspects en vertu de l’article 293-2 du Code pénal de la République du Bélarus. Dans la cellule, on voyait bien que les gens étaient sous le choc. Les deux garçons, qui ont fêté leur majorité derrière les barreaux, avaient balancé des pierres depuis le toit du centre commercial Riga. Pour eux, c’était clair dès le début : article 293-2. 2.

Le 13 août, nous avons déjà eu trois repas et c’était très « délicieux ». Dans la nuit du 14 août, les lumières se sont éteintes pendant une demi-heure et les flics antiémeute ont disparu. Nous les avions entendu tout le temps, nous les avions entendu tabasser des gens. Il y avait un sentiment de détente. On a commencé à nous passer d’une cellule à l’autre. J’ai vu de nouveaux enquêteurs qui m’ont dit que je serais un témoin dans l’affaires des émeutes. Ils ont également demandé si mon téléphone contenait des informations ou des photos.

Transféré dans une cellule de quatre lits, j’ai revu ce garçon tadjik du fourgon. Nous avons parlé, j’espère qu’il a compris que les Bélarussiens sont des gens normaux, pas des bêtes sauvages comme ces flics antiémeute. Ils nous ont donné à déjeuner, et même de la viande ! Ensuite, je suis retourné dans la cellule des « beach boys ». Comme elle est devenue spacieuse !

« Ma mère pensait que j’étais foutu avec mon éloquence et a écrit une minihistoire sur ce qu’elle ressentait. La fin ressemble à ceci : je suis brisé mais vivant et souriant. Parfois, je la relis et je pleure. »

Le 14, ils ont commencé à nous relâcher, alors que nous croyions qu’on allait nous transférer à Jodzina. Ils ont demandé sur quel terrain vague nous emmener, et finalement nous avons été relâchés entre le commissariat du quartier Frounzenski et le cimetière du Calvaire. Une minute plus tard, les bénévoles sont arrivés sur place : ils avaient compris que le fourgon de police transportait des détenus. Je leur ai demandé de me remmener rue Akrestsina parce que je sentais que mes proches m’y attendaient. J’ai appris plus tard que je n’étais apparu qu’une seule fois sur la liste des détenus d’Akrestsina, ce qui a provoqué une crise de nerfs chez maman : pendant tout ce temps, elle n’avait pas su où j’étais ni si j’étais encore en vie. Ma mère pensait que j’étais foutu avec mon éloquence et a écrit une minihistoire sur ce qu’elle ressentait. La fin ressemble à ceci : je suis brisé mais vivant et souriant. Parfois, je la relis et je pleure. C’est agréable de savoir qu’on vous aime tant.

Les médecins de l’hôpital des urgences voulaient m’hospitaliser, mais j’ai refusé. J’ai pris beaucoup de médicaments et je suis allé au commissariat de quartier pour déposer plainte concernant les violences subies. J’ai été renvoyé à l’hôpital pour effectuer un nouvel examen de blessures. Nous étions vendredi. Mais personne ne sait jusqu’aujourd’hui où est passé mon dossier. Finalement, le lundi suivant, j’ai reçu un coup de téléphone : « Nous avons à vous parler ». J’ai contacté mon avocate et je suis venu avec elle au comité d’enquête. Il m’a semblé que le chargé d’enquête s’en soit même offusqué. Il a téléphoné à quelqu’un pour se plaindre : « Monsieur, il y a force majeure, je ne savais pas qu’il se présenterait avec son avocate ». Il a essayé de la renvoyer du bureau sous le prétexte qu’il allait inspecter mes blessures. L’avocate a rétorqué qu’elle avait également une formation médicale et qu’elle n’avait pas peur de blessures. En fin de compte, je ne suis jamais resté en tête-à-tête avec le chargé d’enquête.

Il s’est avéré que j’étais un suspect. J’ai eu les jambes en coton. Il était clair que je resterais dans le collimateur pendant très longtemps. Ma mère m’a conseillé de partir. J’ai obtenu un nouveau passeport et un visa à l’ambassade de Lituanie aussi rapidement que possible. Le jour même où j’ai obtenu mon visa, j’ai quitté le Belarus. J’ai laissé derrière moi toute ma vie, sauf mes instruments de musique.

P.S. Début février 2021, Viatchka a déposé plainte en Lituanie dans le cadre de la compétence universelle qui permet d’enquêter sur les torture infligées à des manifestants bélarussiens. Il dit que c’est la seule chose qu’il peut faire contre le « régime du moustachu » aujourd’hui.

Auteur : équipe du projet August2020

Photo : équipe du projet August2020

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